Entre un film d’auteur sur la vieillesse et un drame familial, il faut peut-être aussi savoir s’amuser un peu. Parlons donc de Michael Bay, parlons de 6 Underground. (Un « film Netflix » mais ne vous faites pas avoir par le logo et le fait qu’il est distribué par le service puisque c’est une co-production, comme The Irishman.).
Un millionnaire en a marre des injustices dans le monde. En particulier celles commises par un dictateur qu’il désigne comme première cible pour son équipe de 6 personnes (dont il fait lui-même partie) redresseuses de torts, sans limites fixées par des gouvernements, organisations ou lois. Car autre que le nombre de membres du groupe de presque super-héros, le titre fait bien référence à la mort, les membres des « ghosts » ayant tous simulé leurs morts pour disparaître de la circulation et pouvoir agir sans aucune restriction.
Un groupe de good guys dont deux têtes d’affiche charismatiques (littéralement « 1 », Ryan Reynolds et « 2 », Mélanie Laurent), un méchant à abattre : Que faut-il de plus ?
Court avis sur le film
Peut-être qu’il n’en faut pas « plus » mais que le mot d’ordre « retenu » manque justement.
6 Underground est un très bon divertissement comme Michael Bay sait en faire car profitant de l’un de ses scripts les plus épurés et directs de sa filmographie. Comme libéré du lore d’un Transformers à exposer ou de l’enquête policière d’un Bad Boys, le rythme de la narration ne s’arrête jamais, permettant d’aller à l’essentiel, soit l’action jouissant de la créativité et du sens de l’esthétique de Bay. Garantissant ainsi du divertissement de haute volée.
Mais là est aussi le problème : là où par moment on peut parler d’une narration efficace, il y en a d’autres où on peut plus parler de précipitation, au point de friser l’overdose (et c’est un habitué des films d’actions qui écrit ces lignes).
Un film donc « sans retenus », autant en bien, qu’en mal. Je serai donc tenté de vous conseiller de sortir le popcorn et d’aller apprécier le déluge d’explosions mais une question reste en suspens et je ne peux pas y répondre pour vous : Saurez-vous supporter le revers de la médaille ?
Analyse Détaillée
Pour les lecteurs un peu plus assidus, qui souhaitent savoir plus précisément de quoi il en retourne avant de voir le film (ou après ?). Analyse garantie sans spoilers.
Parenthèse : Pour prendre Michael Bay avec un peu de sérieux

[« Il est arrivé devant moi. Il a mis son portable là * mis le portable au niveau des yeux* et il était comme ça : Fais quelque chose ! Je m’ennuie ! Je mettrais ce plan dans le film ! […] Et c’est dans le film ! » (Interview de Mélanie Laurent parlant de comment travaille Michael Bay pour BUILD Series)
Si j’ai mis cet extrait d’interview c’est pour montrer que la réputation joue pour beaucoup dans l’image qu’on se fait d’une personnalité, presque plus que le travail de cette dernière.
S’il s’agissait d’un réalisateur respecté comme Scorcese, encore mieux si c’en est un connu pour improviser sur ses plateaux, disons Gaspar Noé, il y a de fortes chances que nombreux d’entre vous auriez pensé ça : « Ah ! Quelle originalité ! Ça c’est une patte d’artiste! ». Mais il s’agit ici de Michael Bay, donc beaucoup ont dû penser cela à la place : « Quel amateur ! Il fait vraiment ses films n’importe comment! ».
Je ne veux pas vous le présenter comme un messi incompris du cinéma (ce qu’il n’est absolument pas), juste comme un metteur en scène comme un autre, avec son talent et ses faiblesses. J’en appelle juste à voir ses films tels qu’ils le sont, des divertissements faits pour s’amuser et se détendre.
Non pas pour laisser passer les erreurs au prétexte que « ça passe parce que ça divertit » (une excuse bien trop souvent utilisée quand on parle de divertissement) mais pour apprécier ce que ces films ont à offrir. De quoi se détendre, passer un bon moment si vous vous laisser aller et une mise en scène, inventive, assez « gratuite » (des plans impressionnants pour le simple plaisir de faire des plans impressionnants) à apprécier si vous n’aimez pas débrancher le cerveau.]
Une narration efficace… trop efficace même
Un petit pitch en voix-off de Ryan Reynolds à propos des fantômes sur des images d’un cimetière d’avions. Une courte séquence nous montrant comment il a simulé sa mort et c’est suffisant : Au bout de seulement 2 minutes et 40 secondes de film, l’introduction est finie, on peut lancer la course poursuite dans les rues de Florence. Le reste (la petite histoire de chaque membre du groupe, les motivations de « 1 », pourquoi ce dictateur précisément en premier ?) sera dilué dans la suite avec des flashbacks.
6 Underground est un film qui ne perd pas de temps, il a été fait par des personnes qui savent pourquoi le film sera regardé et ils l’assument pleinement.
On ne s’ennuie donc jamais devant le film, il n’y a tout bêtement pas le temps : on enchaîne les gros plans pour rendre un moment précis intense (comme la course poursuite de Florence justement dont tout le début n’est composé que de gros plans pour démarrer avant que n’intervienne l’establishing shot) ; quand la caméra s’éloigne pour filmer des valeurs plus grandes il y aura forcément un mouvement de caméra ou un autre élément pour maintenir un dynamisme ; même lorsqu’il y aura une pause dans l’action, le film se sentira comme obligé de glisser une petite blague grasse ou un sarcasme d’un Ryan Reynolds continuant de surfer sur la « vague Deadpool » avec son jeu comique détaché et prenant même les situations extrêmes avec humour (comme il l’a fait dans Hitman’s Bodyguard et Detective Pikachu, ce qui n’est pas un problème en soi car il le fait bien).
Mais on prend aussi conscience de l’un des intérêts d’un strict minimum d’histoire et de développement de personnages, même quand c’est superficiel : laisser des pauses pour que le spectateur souffle un peu. Un minimum d’effort qui, soyons d’accord, n’aurait pas été remarqué s’il avait été fait. Mais il est à faire et 6 Underground part à toute vitesse sans jamais vraiment nous attendre au point que ça en devienne presque fatiguant.
Ainsi, je préfère prévenir les habitués de films d’auteurs au montage lent, ce film risque de vous donner des migraines.
Aussi le problème aurait été réduit à une question de rythme si nos personnages se contentaient d’enchaîner les missions et que leur développement se résumait au background.
Mais le film incruste sans prévenir une romance particulièrement inutile car pas assez développée pour qu’on y croit. Les personnages de « 2 » et « 3 » (Manuel Garcia-Rulfo) décident juste de coucher ensemble après une fusillade et le film s’en sert de point de départ d’une relation amoureuse. Ce qui ressemble finalement plus à une faible tentative de gonfler le temps du film ou peut-être on peut penser à du racolage (un racolage bien frileux si c’est le cas parce que la scène de sexe du couple est essentiellement passée en ellipse).
De même on regrettera que le background de « 1 » se veuille tire-larme avec sa femme et son enfant qu’il laisse derrière lui comme un soi-disant sacrifice pour accomplir sa mission. Mais là aussi, on n’y croit pas parce que sa femme a plus l’air d’être un coup d’un soir qu’autre chose (deux répliques échangées puis directement une scène de sexe). Peut-être valait-il mieux jouer la carte du « cool » comme ça a été fait pour les autres (le tueur à gage qui tient à sa maman, le voleur trahi par ses anciens coéquipiers, le militaire trop bon pour son commandement) plutôt que d’essayer de créer cette histoire un peu larmoyante au prétexte que c’est le personnage principal.
Un rythme à double-tranchant, un scénario simple mais qui trébuche tout de même. L’action en elle-même relève-t-elle le niveau ?
Du bon divertissement comme Bay sait en faire
Le « style » de Bay est assez simple en soi : créer un maximum de relief et de dynamisme à l’image.
Sur chaque plan, le but sera de multiplier les mouvements différents. Et j’insiste sur le mot « différents » car le but n’est pas que tout bouge partout de manière aléatoire dans le cadre mais bien que chaque élément à l’image bouge dans une direction bien précise et différente du reste. Le tout souvent en mettant un rapport d’échelle pour qu’on se rende compte du caractère impressionnant de l’action. D’où la sensation d’un « chaos ordonné ».
Pour l’expliquer de manière plus concrète, prenons le plan ci-dessous, décomposé en trois images.
La caméra est au niveau du sol pour qu’on regarde le crash d’en bas, qu’on saisisse l’échelle de la destruction. Il n’y a d’abord rien au premier plan mais la ligne de plots permet d’en saisir la profondeur. Puis arrive la voiture jaune (celle de nos protagonistes) à gauche du cadre, en remplissant à peu près le tiers (ou le quart). Tandis que tout le reste du cadre laisse la place au crash de la voiture, pour qu’on puisse voir les débris s’éparpiller et donner de l’ampleur à la destruction. Et la voiture jaune tape les plots qui traversent le cadre de gauche à droite et l’un d’eux arrive au tout premier plan.
Ainsi, en un seul plan, on a : un mouvement vers la caméra (la voiture jaune), un mouvement traversant le cadre de gauche à droite (les plots tapés par la voiture jaune), un objet qui passe au premier plan (l’un des plots) et enfin un mouvement vers le haut et qui remplit toute la partie « vide » de l’image (le crash avec la voiture qui est envoyée en l’air et les morceaux qui s’éparpillent).
Tout est ainsi mis en œuvre pour créer du relief et du dynamisme au cadre et avec un rapport d’échelle (les plots par rapport aux voitures, les arbres au fond du cadre) pour rendre l’image impressionnante. Là j’ai pris l’exemple d’un plan fixe mais, évidemment, les possibilités sont multipliées quand on autorise à la caméra de se déplacer (et le réalisateur en profite beaucoup évidemment).
Michael Bay n’est pas le seul à faire ça mais l’intérêt dans son « style » est dans le caractère de plus en plus délirant des situations qu’il va mettre en scène avec cette technique pour donner une esthétique et presque un côté harmonieux à tout ce « cluster fuck » (mots du personnage de « 1 » en ouverture du film, un « gros bordel » si vous préférez). Le film remplissant parfaitement son contrat de ce côté-là.

On appréciera aussi la violence graphique, non seulement pour le plaisir bas du front de voir Ryan Reynolds jouer avec un œil en le tenant par le nerfs optique (toujours avec son jeu comique « vague Deadpool ») mais permet aussi de donner un peu de force à l’action. Notamment ici, la petite intention d’intégrer les cadavres dans les voitures qui se crashent permettant vraiment de voir l’impact sur les corps. Cela paraît anodin mais on a été grandement habitués à voir des voitures vides se crasher avec la classification PEGI 13 imposée à la plupart des blockbusters.
Cette violence sans filtre permettant aussi de faire mourir un personnage important (je ne vous dirais pas qui ni quand ni comment évidemment) de manière assez brutale et tôt dans le film pour donner de l’enjeu et du poids à l’action. L’idée étant que n’importe qui peut mourir à n’importe quel moment.
“It’s like bringing a child to a gunfight”
Au bout du compte, 6 Underground nous donne l’impression d’entrer dans l’esprit d’un enfant jouant avec ses petites voitures et ses soldats : ça bouge dans tous les sens, c’est dantesque, délirant… mais peut-être un peu indigeste.
Et c’est presque avec l’innocence d’un gamin que Michael Bay s’attend à ce qu’on avale son montage tantôt correspondant parfaitement au côté déchaîné de ses scènes d’actions, tantôt hyperactif à en fatiguer le spectateur.
D’un côté c’est assez amusant, même rassurant, de voir un réalisateur qui a la cinquantaine, et est sur le devant de la scène depuis bientôt 30 ans, mettre autant d’énergie dans son travail.
D’un autre on pourrait se dire que, depuis le temps, il devrait retenir des leçons plutôt que de fournir ce film un peu brut de décoffrage.
Critique écrite par Hugo REMY